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Entreprises à impact, prémices du « cancel business » ?

Par Bernard Lewis, Président du groupe HELPLINE

La manière de considérer le rôle de l’entreprise a profondément évolué ces dernières années. Au-delà de sa fonction économique, elle se doit aujourd’hui d’avoir une raison d’être vis-à-vis de la société et de s’engager dans des actions d’investissement à impact. Au risque d’être disqualifiée ?

D’entreprise commerciale à entreprise à impact

La transformation qu’opèrent les entreprises depuis plusieurs années n’est pas uniquement numérique. Elle est aussi, semble-t-il, existentielle : leur rôle profond est en train de changer.

Preuve en est, la loi Pacte a créé en 2019 la notion d’entreprise à mission. Cette nouvelle qualité, qui figure dans les statuts des entreprises qui s’en revendiquent, permet d’afficher publiquement une « raison d’être » altruiste, au-delà des objectifs économiques classiques. En se fixant des objectifs sociaux et environnementaux, l’entreprise à mission entend mieux concilier ses intérêts propres et l’intérêt général de la société.

Une évolution de ce modèle est apparue et va plus loin : l’entreprise à impact. Ici, l’entreprise est entièrement tournée vers sa mission sociale et écologique et vers le partage de la valeur. Son intérêt particulier et l’intérêt général ne cohabitent plus, ils fusionnent.

Historiquement tournées vers le profit (modèle économique traditionnel), les entreprises commerciales ont donc, désormais, la possibilité de s’améliorer et de peser positivement sur la société et l’environnement – en commençant par la RSE et l’ESG, puis en devenant entreprise à mission et, enfin, entreprise à impact.

S’agit-il d’une nouvelle échelle de valeur et de responsabilité à suivre ?

Partition simpliste

Entreprise à impact et entreprise à mission : les concepts se veulent nouveaux, mais ce qu’ils désignent ne l’est pas.

Les entreprises sont, depuis longtemps, nombreuses à mener des actions dépassant leurs seuls intérêts économiques et à œuvrer, à différents degrés, pour la société et l’intérêt général. Le mécénat et les fondations d’entreprise en sont les expressions les plus visibles. En France, le mécénat d’entreprise a ainsi représenté 2,3 milliards d’euros de dons en 2020, de la part de plus de 105 000 entreprises.

La philanthropie des entreprises s’exprime également de manière moins visible, passant par une multitude d’actions locales et de pratique du « pro bono » (abréviation du latin pro bono publico, qui signifie « pour le bien public »).

Il ne s’agit pas, évidemment, de minorer les externalités négatives et/ou le peu de morale de certaines sociétés. Le monde des entreprises est loin d’être parfait. Mais ces nouveaux labels d’entreprise à mission ou à impact suggèrent une partition quelque peu manichéenne. Ils peuvent laisser penser qu’avant leur apparition, les entreprises ne s’occupaient que de leurs seuls intérêts propres, dans une forme d’égoïsme apparenté à un ancien monde.

Une licence morale d’opérer ?

Au-delà de cette vision en noir et blanc, on peut également s’interroger sur ce qu’impliquent ces labels. Ne s’agit-il pas d’une forme d’échelle morale pour les entreprises ? En validant officiellement la vertu de l’entreprise, ils dictent implicitement ce que doit être une entreprise (sa « raison d’être »).

S’il est évident que les objectifs économiques ne doivent pas être le seul moteur de l’entreprise (et ils ne le sont pas, dans la plupart des cas), à partir de quel niveau d’action sociale et environnementale juge-t-on qu’une entreprise est vertueuse, que sa raison d’être est acceptable ?

Ces labels ont un intérêt qu’il ne faut pas renier. Mais la moralité d’une entreprise ne peut pas se résumer à leur obtention. D’autant plus que les dérives peuvent apparaitre, à l’image du green-washing et des inévitables effets de mode derrière lesquels peuvent se cacher certaines entreprises.

Les clients comme les employés attendent aujourd’hui des entreprises qu’elles deviennent plus responsables et, justement, vertueuses. Sans quoi ils s’en détournent, et la sanction économique et réputationnelle peut être lourde. Ainsi, la raison d’être affichée d’une entreprise peut devenir une condition pour obtenir de la société le droit d’opérer : « Si vous n’êtes pas une entreprise à impact, je n’achète pas vos produits » … « Si vous n’êtes pas une entreprise à mission, je ne travaille pas chez vous ». « Si vous n’êtes pas une entreprise à mission, vous n’existez pas ».

La cancel culture va-t-elle se décliner en cancel business ?

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